France, la légende de la cité engloutie d'Ars

yvesh Par Le 27/10/2018 0

Dans Archéologie

France, la légende de la cité engloutie d'Ars

 

Paladrulac

Entre légendes et réalités, la cité disparue d'Ars et le lac de Paladru ont fini par rejoindre l'Histoire sous différentes formes. Nous nous trouvons entre Lyon et Grenoble, en France, proches des premiers contreforts du massif préalpin de la Chartreuse, au cœur des Terres Froides orientales. Le cinquième lac d'origine glaciaire de France de par sa taille (392 hectares) a été créé par une dépression géologique d'origine glaciaire donc, à 492 mètres d'altitude. Il se place en onzième position des lacs d'origine naturels, glaciaires ou volcaniques dans notre contrée et a toujours fait, de mémoire d'homme, l'objet de mythes et légendes de part les vestiges très anciens qui y ont été découverts sur de longues périodes.

Paladrulacan1000 mini
Mais ce n'est que dans les années 1970 et des fouilles plus approfondies du fond du lac, que les légendes vont rejoindre l'Histoire, avec des découvertes archéologiques surprenantes et remarquables : celle de tout un village du néolithique, daté d'au moins 4.700 ans avant maintenant, mais aussi celle d'une petite citadelle datée de l'an 1000 après J.C ! Mais partons d'abord pour la légende de la cité d'Ars et ce qu'on en sait... :

Comme souvent dans l'Histoire d'Europe, ce sont les écrits des religieux et leurs interprétations qui apportent un certain éclairage sur notre passé, même si cet éclairage est très souvent orienté par les croyances spirituelles des époques concernées, et aussi les notions de pouvoirs bien matériels des mêmes ères... Ainsi, nous savons que, en l'année 1116 après JC, les moines chartreux créent le monastère de la Sylve Bénite (Le Pin), puis qu'un des fils de Frédéric 1er Barberousse (qui avait été excommunié par l'un des deux papes de l'époque), y est converti et que le monastère reçoit d'importantes donations grâce à cette présence historique.

L'Abbé Millon, dans ses écrits et ses recherches, évoque la possibilité d'un conflit entre le village d'Ars, situé près du monastère et soutenant l'autre pape, et la destruction du village par Frédéric 1er Barberousse ou Humbert, comte de Savoie, pour protéger les chartreux ou encore par un tremblement de terre ou un affaissement du rivage. En 1177, le pape Alexandre III confirme les privilèges des chartreux. C'est ce texte qui nous révèle la destruction du village car il interdit la reconstruction de la chapelle incendiée. Plus tard, l'abandon définitif du village est dû à la montée du niveau du lac...

 

Monument barberousse kyffhauser

Petite aparté au sujet d'une légende sur l'Empereur germanique Frédéric 1er Barberousse : Frédéric est le sujet de la "légende du héros endormi", qui dit qu'il n'est pas mort, mais seulement endormi avec ses chevaliers dans une caverne dans les montagnes de Kyffhäuser en Thuringe, et que lorsque les corbeaux cesseront de voler autour de la montagne, il se réveillera et rétablira l'Allemagne dans son ancienne grandeur. Selon l'histoire, sa barbe rousse aurait poussé à travers la table devant laquelle il est assis. Ses yeux sont à demi-clos dans son sommeil et, parfois, il lève la main et envoie un garçon-spectre voir si les corbeaux ont cessé de voler...

Les récits sérieux situent alors la ville ou village d'Ars près de la Silve-Bénite (Sylve), un monastère chartreux en 1116.

Hector Blanchet, en 1837, dans l'Album du Dauphiné : « [...] Nicolas Chorier avait été plus qu'un autre à même de traiter la partie historique du lac, ayant consulté les archives de la Silve-Bénite, qui possédait, entre autres titres, celui où on lisait : Urbs Arsi fuit justo dei judicio submergata. Cet écrit a été détruit pendant la Révolution avec tout ce que renfermait le couvent. ».

Blanchet dit encore, après avoir étayé ses recherches : « L'habitude qu'avaient les habitants des environs du lac de se réunir sur ses bords pour célébrer leurs cérémonies religieuses et l'usage des Gaulois de bâtir, autant que possible, leurs villes auprès des lacs voués à leurs dieux les déterminèrent à fonder dans ces lieux la ville d'Ars. Elle fut élevée dans la partie méridionale de la vallée, au commencement du Moyen Age et à la naissance du blason, époque où les esprits s'appliquaient à la recherche des noms allégoriques. On l'appela Ars, qui veut dire "brûlée", paranalogie avec les laves et les cendres qui couvraient le sol volcanique sur lequel elle fut bâtie. »

" La ville vivait dans l'orgueil, l'opulence et l’impiété..." (Selon la légende !) " Un soir d'été, un vieillard affamé mande un morceau de pain. " Passe ton chemin ", lui dit-on avec mépris. Alors la cloche se met à pleurer, et la terre à trembler. Le tonnerre se déchaînait. La terre s’ouvrit et la ville plongea dans un abîme qui la conduisit en enfer. Puis les eaux du lac comblèrent le trou. On peut encore entendre le son de la cloche, désespéré... " H. Blanchet chercha une explication.

Après une insurrection contre la domination de l'abbaye de Silve-Bénite qui déplut au pape de Rome, Frédéric 1er Barberousse mit fin au soulèvement. Ou Humbert, comte de Savoie ? La cité fut brûlée. « [...] Ce fut en vain que les femmes et les enfants, réfugiés dans l'église, cherchèrent leur salut dans la protection que Boniface V avait accordée à ces asiles sacrés. Hélas! Dans ces temps de barbarie, la main qui s'était armée pour venger la religion offensée en viola le sanctuaire, et les débris fumants de l'autel servirent à écraser les dernières victimes de ce massacre général. »

Et, chez les chartreux, on trouve: « [La ville] ne tarda pas à être incendiée et détruite de fond encomble et la population massacrée par des ennemis, ad hostibus. » Mais quand ? En 1167 ? 1176 ? L'archevêque de Vienne, en 1172, fait encore figurer l'église d'Ars parmi les églises placées sous le patronage du Saint-Chef.

Puis les ruines disparurent, et Blanchet pense : « Quelques années après la destruction d'Ars, un tremblement le terre ouvrit tout à coup un gouffre immense qui engloutit ses vastes débris et une grande étendue de son territoire; les eaux du lac, quittant leurs limites ordinaires, s'y précipitèrent en même temps et couvrirent d'un voile éternel les derniers vestiges de cette malheureuse ville, comme pour en effacer à jamais le souvenir. » Mais il s'agit peut-être d'éboulements semblables à celui de 1870 à Vers-Ars...

J. Mallein affirme avoir trouvé mention de la ville d'Ars dès 619 et le pape Boniface V aurait déclaré les églises d'Ars lieux d'asile. E. Millon, dans « Le Lac de Paladru » pense qu' Ars fut une cité lacustre : « Quoi qu'il en soit, Ars existait certainement sur les bords du lac au commencement du XIIe, au temps du roi de France Louis VI, dans les parages désignés encore aujourd'hui par des appellations comme Vers-Ars, Pré-d'Ars, Rivière-d'Ars. »

Les mythes et légendes au sujet du village englouti (ou disparu) d'Ars seront racontées jusqu'en 1869 au moins, année où la première théorie scientifique digne de ce nom fut énoncée par l’archéologue et conservateur Ernest Chantre qui engage des fouilles terrestres sur la station des Grands Roseaux située au nord du lac de Paladru. Ses premières interprétations supposent alors une occupation carolingienne et un autre mythe allait alors prendre corps, celui des célèbres cités lacustres sur pilotis, les palafittes.

 

 

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Hiver 1921-1922 - les traces d'un village du néolithique, estimées à environ 2700 ans Avant JC sont découvertes par Hippolyte Müller.

 

Il faudra toutefois attendre l'hiver 1921-1922 et une baisse spectaculaire du niveau des eaux du lac pour y faire une surprenante découverte archéologique. En effet, l’archéologue dauphinois Hippolyte Müller explore la partie sud du lac à cette occasion et y localise alors les premiers gisements néolithiques du site des Baigneurs, puis les premières traces des occupations des débuts de l’an mil après JC.

Il faudra encore attendre 1972 pour que la municipalité de Charavines projette des travaux d’aménagement sur l’emplacement des sites inondés par le lac... les archéologues entreprennent donc des travaux de sauvegardes et c'est là que les plus importantes découvertes sont établies, tant sur le "site des Baigneurs" sous la direction d’Aimé Bocquet que sur celui de "Colletière", sous la direction de Michel Colardelle. Ces interventions de sauvetage se transforment en fouilles programmées, étant donné l’importance des découvertes.

M. Colardelle dans « Les Villages médiévaux du Lac de PaLadru », 1978, pense qu'Ars a effectivement été un gros village lacustre : « Ars devait bien être l'une des stations médiévales du lac. Mais simplement une station. C'est-à-dire un village, un gros village peut-être, mais en aucun cas une ville, comme le proclament tant de récits populaires véhiculés par le folklore régional

Une méthode de fouille spécifique est mise en place en 1981 sur Paladru, des techniques et méthodes mises au point au long des années permettant la récupération précise et raisonnée de vestiges archéologiques. Le lac devient alors un lieu d’expérimentation des techniques de fouilles subaquatiques et un site de référence pour la rareté des objets trouvés, puisque les conditions de  conservation sont exceptionnelles pour tous les objets de nature organique.

 

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Le fouilleur décape la couche archéologique à l’horizontal et sur une surface limitée suivant un système de repérage triangulaire matérialisé par des règles métalliques de 5 m de long, montées horizontalement sur des piquets tubulaires profondément enfoncés

Ainsi, des fuseaux, racloirs, haches, parures et récipients de terre cuite sont découverts dans ce qui est rapidement interprété comme un village du néolithique, construit en bordure du lac, avec une grande palissade en bois le protégeant. 

 

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Reconstitution du village englouti du néolithique

Historiquement, on sait que le site est occupé au néolithique, pendant la période gallo-romaine, puis qu'il fait partie du comté de Sermorens rattaché à la Lotharingie, puis au royaume de Provence. C'est au cours du XIème siècle qu'un essor entraîna une colonisation des rives du lac. Sites abandonnés vers 1035, années qualifiées par Raoul le Glabre, moine à Cluny comme catastrophiquement pluvieuses. Il y eut d’ailleurs en Europe de graves famines dans ces années-là, en particulier en 1033 et en 1035. A Paris, la famine dure et se double d'une épidémie... Et en ce qui concerne la ville ou village d'Ars, il a probablement été entièrement détruit ou ses débris enterrés et engloutis n'ont jamais été vraiment découverts... mais on a tout de même trouvé les restes d'une petite citadelle fortifiée qui pouvait en faire partie, et datée de l'an Mil après JC. Des outils, des armes, des jeux et des instruments de musique, exceptionnellement conservés par les eaux du lac, offrent une image inattendue de la vie quotidienne d’un groupe d’hommes installés voici mille ans (entre 1006 et 1038 ap. JC) dans l’habitat fortifié de Colletière...

 

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Reconstitution de la petite forteresse engloutie

Sources et Illustrations : Daniel Reversat (Flickr, licence cc), H.Müller, collect. Musée Dauphinois, Chantier de fouilles archéologiques Colletière, André Houot, Jacques Martel - il a existé un moment donné un Musée archéologique du lac de Paladru, mais il semble que ce dernier ait été transféré au Musée Dauphinois à Grenoble...

http://www.echosciences-grenoble.fr/actualites/les-vestiges-engloutis-du-lac-de-paladru,

http://www.futura-sciences.com/magazines/voyage/infos/dossiers/d/geographie-tourisme-isere-legendes-anciennes-984/,

 Les légendes citées sont issues d'extraits trouvables dans l'oeuvre de Claude Muller ci-dessous :

 

Livre mysteredauphinois

Un autre bouleversement géologique permettra-t-il un jour de retrouver les traces de cette ville ou village disparu au Moyen-âge ? Rien n'est impossible dans la mesure où l'on y a bien découvert les traces d'un village ancien de 4700 ans et cette citadelle de 1000 ans...

 

Yves Herbo, Sciences, Faits, Histoires, 29 et 30-09-2015, up 10-2018

 

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